Printemps 1944 :
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En fin de matinée, je me trouvais dans la maison avec mes frères et mes parents quand 1 véhicule de commandement de la Wehrmacht, suivi de 5 camions remplis de matériels et de soldats s'arrête devant le perron. Ce convoi occupait tout le chemin allant de la maison au portail (que nous ne fermions pas à clef). Le commandant a monté l'escalier, a sonné à la porte, mon père a ouvert, cet officier l'a salué puis s'est présenté. La raison de cette intrusion est expliquée à mon père:
REQUISITION pour installation d'une pièce d’artillerie ....? (c’est, peut-être, cette pièce qui a été installée à la Guichère ?).
Mon père a alors demandé à cet officier de lui montrer l'ordre de réquisition. L'officier n'en n'avait pas mais s'est empressé d'ajouter qu'il allait immédiatement faire tamponner un tel ordre par la mairie de Milly. Deux heures plus tard, ce même officier est revenu très contrarié car la mairie de Milly n'était pas compétente pour régulariser un tel ordre, la villa Les Charmes dépendant de la commune de Noisy-sur-Ecole (mon père s'était bien gardé de le lui dire) et, curieusement, cet officier toujours très poli, a décidé de repartir avec son convoi.....! Je crois que nous avons eu une sacrée chance.
Villa des Charmes, route de Fontainebleau |
Dimanche 20 août 1944.
Ce dimanche 20 août 1944, mes parents avaient convenu avec l’un de leurs amis, habitant Fontainebleau, de lui rendre visite. La famille (mon père : 34ans, ma mère : 29ans, mon frère ainé : 10an et moi : 8ans1/2) s'installe vers 10h dans la voiture de mon père, une Chrysler Impérial 1938 (beaucoup d'effet vue de l'avant......, mais l'arrière occupé par un gazogène ......avait moins d'allure !) et nous voilà partis pour Fontainebleau. A l'entrée de Fontainebleau, là où se trouvait la tour en bois de l'ancien octroi, panne totale...! (on avait l'habitude....). Mes parents décident, alors, que mon père allait s'occuper de la voiture et que ma mère, avec les enfants, allaient continuer à pieds pour rejoindre cet ami qui était aussi mon parrain. Nous rejoignons donc mon parrain avec qui nous déjeunons sans aucune nouvelle de mon père. Dès le début de l'après-midi, des rumeurs ont prétendu que les allemands semblaient être plein désarroi. Il semblait se passer quelque chose de très grave....!
Quoique toujours sans nouvelles de mon père, ma mère décida de repartir, à la maison, à pieds. Et nous voici sur la route d'Arbonne, parfois entourés d'allemands en guenilles poussant des charrettes, l'air hagard. Ma mère n'était pas du tout rassurée, mais pas question de faire demi-tour. L'ambiance sur la route était telle que ma mère préféra continuer hors de la route, sous bois. Finalement nous sommes arrivés à Arbonne et là, stupeur, deux énormes trous, l'un derrière l'autre, sur toute la largeur de la route, qui n'existaient pas le matin. Nous étions encore à 3kms de la maison. Nous avons continué ensuite, parfois sur route, parfois dans les bois (où nous avons vu un réservoir de réserve de carburant, en carton compressé, largué par un avion). A 300m de la maison, juste avant le croisement de la route d'Arbonne avec la route des Grandes Vallées conduisant à Noisy-sur-Ecole, au milieu de la route, nous avons vu un char abandonné avec des fils qui en sortaient et se dirigeaient dans les bois.....! Nous sommes passés et avons rejoint Les Charmes. Ouf...! (J'ignore ce qu'il est advenu de ce char ...? A-t-il explosé ?)
Mais de mon père, aucune nouvelle !
Finalement vers 10/11h du soir, mon père est arrivé sur un vélo préhistorique dont les jantes étaient enrobées de boudins en ersatz de caoutchouc noir.
Après la panne, mon père avait trouvé un garagiste pour remorquer sa voiture jusque dans une grange qu'il était arrivé à louer. Puis, après avoir recouvert la voiture de paille en faisant attention au feu que le gazogène aurait pu provoquer, mon père est allé déjeuner au restaurant Arrigui (je viens de voir sur Google que ce restaurant existe toujours). Mon père connaissait bien le patron. Il lui a prêté un vélo en parfait état, mais après quelques kilomètres, mon père a été arrêté par un groupe d'allemands qui ont échangé le vélo d'Arrighi contre le vieux tacot que j'ai décrit plus haut. Divers objets lui avaient aussi été dérobés.
Mais quel soulagement de nous retrouver sains et saufs !
Quelle chance, aussi, qu'aucuns groupes d’allemands n'aient investi notre maison pendant cette période !
Mardi 22 août 1944
Le 22 août 1944, j'avais presque 9 ans, je me trouvais, avec mes parents, mes deux frères et deux domestiques, dans la propriété "Les Charmes" entre Milly et Arbonne sur la route de la Libération. A 300m du Coquibus. La maison était en retrait de la route d'environ 50 mètres. Toute la journée, les allemands, dans un convoi ininterrompu, complètement débraillés et hagards se dirigeaient vers Milly...? J'ai assisté dans l'après-midi à un combat aérien juste au-dessus de la propriété. Le soir venu, mon père a fait coucher tout le monde dans des pièces de la cave dont les ouvertures vers l'extérieur avaient été protégées par des sacs de sable. Difficile de dormir, de nombreux tirs et explosions se faisaient entendre et semblant provenir de la plaine de la ferme Saint-Georges (j'ai vu quelques jours plus tard, à la hauteur de cette ferme, de nombreuses carcasses de véhicules calcinés). Puis un certain calme. Au petit matin du 23, nous nous sommes risqués à l'extérieur de la maison et, en se rapprochant du portail, nous avons aperçu une colonne ininterrompue de soldats, de tanks et de camions se dirigeant vers Arbonne. La langue parlée n'était plus l'allemand mais l'anglais...!
Nous venions, à notre tour d'être libérés...!
Camion Allemand incendié après mitraillage par les Mosquitos en face la ferme St Georges près Milly Route de Fontainebleau le 22-8-44 |
Une joie indéfinissable s'est emparée de nous. Ma mère s'est précipitée pour fixer au-dessus des colonnes du portail, d'un côté le drapeau français, de l'autre le drapeau norvégien (ma mère était norvégienne). Quelques jours plus tard un capitaine de l'armée américaine, d'origine norvégienne, et installé dans un camp juste à côté de chez nous, nous a rendu visite. Il s'en est suivi de nombreuses fêtes organisées par mes parents avec des officiers de l'armée américaine. Par gentillesse, lors du départ de la région de cette unité, plusieurs jerricans d'essence avaient été cachés sous des branchages, en cadeau pour mon père. Pendant des semaines, des convois militaires se sont succédés sans aucune interruption. Il suffisait de sortir de la propriété, de faire quelques mètres sur le bord de la route, pour recevoir des dizaines de paquets de gâteaux, de chewing-gum et de cigarettes (par paquets de cinq et essentiellement des "Chesterfield" et des "Camel")
Un jour que je me promenais avec mon chien, un berger allemand, sur la route, à 50m de notre portail, en direction d'Arbonne, j'aperçois un GMC arrêté au bord de la route. Je m'approche, et je vois une dizaine de soldats noirs américains, assis par terre, en train de manger. Quand ils m'ont vu, aussitôt ils m'ont appelé et m'ont offert de tout, ils ont tous été d'une gentillesse extrême que je n'oublierai jamais.
Voilà, je voulais raconter cette petite tranche vécue liée à la libération de Milly où j'ai souvent vécu entre 1942 et 1950.
Victor Moritz
Je remercie vivement Monsieur Victor Moritz, de m'avoir fait part de ces témoignages, afin d'enrichir l'histoire de Milly.
2 commentaires:
Ce récit est passionnant et ce témoignage extraordinaire est superbement bien illustré.
Félicitations et merci.
passionant et documenté... Existe il d'autres photos anciennes de la maison ou de son terrain.... Puis je avoir un contact avec mr Moritz... Je suis l'actuel propriétaire de cette maison ...
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