Actualités : Exposition : Les rues de Milly-la-Forêt ont une histoire en septembre 2023

jeudi 10 juin 2010

La cavalcade allégorique du 24 mars 1912


Une grande cavalcade allégorique en faveur de l’aviation est organisée pour demain dimanche 24 Mars 1912. Départ à 2 h précises de la rue du Faubourg Saint-Jacques.

Cortège – Grenadiers, Fanfare de Trompettes, Seigneurs Louis XIII , Char des Enfants, Groupe d’Incroyables, Char de l’Aviation, Mexicains, Char de la Musique, Les 4 Mousquetaires, Char de la Reine, Hussards de la République, Char de l’Entente Cordiale, Gardes Française, Char du Bazar mystérieux, Picadors, Toréadors, Char du Commerce, Char de la gaieté, Char du bon vieux temps.

Itinéraire – Formation route d’Oncy – Faubourg Saint-Jacques, Boulevard du Sud, Place de Lyon, Rue Saint-Blaise, Place du Marché, Place du Colombier, Rue et Faubourg de Paris, Rue des Fontaines, Rue de Melun, Place de la Mairie, Rue Langlois, Rue Saint-Jacques, Boulevard du Sud, à droite, rue Farnault, Place de la Mairie, Grande Rue, Rue Saint-Jacques, Rue Saint-Blaise, Rue Charles Cochin, Place du Colombier, Boulevard du Nord, Route de Boutigny, Rue des Chataigniers, le Puits Pâtre, Rue Saint-Pierre, Grande-Rue, Place du Marché. Place du Marché : Apothéose. Dislocation.

Souhaitons un beau temps aux organisateurs et une recette fructueuse.

Source : L’Abeille d’Etampes du 23 mars 1912






Quand nous arrivons dimanche à Milly, nos avons plaisir à lui retrouver son air des grands jours de fête ; non pas que les décorations dont la petite ville s’est fait comme une spécialité aient été sorties – le temps exécrable des jours précédents, de la veille surtout ne l’aurait pas permis – mais une vive animation règne partout.

Pour voir les Aéros !

Partout aussi on discute, et nous ne tardons pas à nous rendre compte que le sujet de la discussion est la déconvenue éprouvée par les quelque 500 personnes qui, se fiant à la lettre du programme, se sont rendues à 10 heures sur la route de Fontainebleau pour y attendre « les atterrissages d’aéroplanes ». Pensez donc, le Conseil Municipal a été convoqué pour 8 heures du matin ; des préparatifs de réception ont été faits ; les jolies milliacoises se sont mises dès le jour dans leurs plus jolies toilettes. Et c’est en vain qu’on téléphone à Etampes pour savoir « s’ils » sont partis…

Pour « voir cela », quantité des gens des communes voisines, et même de Seine-et-Marne, se sont rendus à Milly par tous les moyens de locomotion possibles. Beaucoup d’enfants sont arrivés à pied ; nous en voyons plusieurs, venus de très loin, en train de dévorer consciencieusement d’énormes « miches », en attendant l’arrivée des grands oiseaux.

Hélas, ceux-ci ne peuvent sortir de leur nid à Etampes ; en Beauce, il fait un vent d’ouest « de tous les diables » qui rendrait plus qu’imprudente une promenade au-dessus de la vallée de l’Ecole et dans les dangereux remous provoqués par le voisinage de la forêt de Fontainebleau.

Il ne fallait pas qu’ils promettent de venir, nous est-il répondu aux bonnes raisons que nous donnons de l’abstention des aviateurs.

Il est vrai que Milly n’est pas un port de mer et qu’on n’y a jamais éprouvé les affres des habitants des villes côtières quand les bateaux ne rentrent pas à l’heure fixée…

Pour nous qui sommes journellement témoins de l’audace de nos courageux pilotes aériens, nous ne pouvons nous empêcher de dire en manière de conclusion : « Les aviateurs ne craignent pas la mort ; ils l’ont prouvé trop souvent, hélas ! mais encore faut-il que ce soit par patriotisme ou pour les progrès de l’aviation. ».

La cavalcade

Voici l’heure fixée pour la cavalcade ; du café Berthelot, le seul établissement qui ait pavoisé quand même, nous observons les allées et venues des divers personnages, cavaliers ou piétons, qui doivent prendre place dans les chars. Chez la modiste d’en face « Au Camélia », nous apercevons de joyeuses frimousses d’enfants ou de fillettes, auxquels des mains expertes donnent le dernier chic, et, comme tout le monde, nous nous portons faubourg Saint-Jacques où la concentration s’opère sous la direction du Comité composé de MM.Aubry, percepteur, président ; Seguin, vice-président ; Nouviaire, commissaire de la fête ; Albert Perrot, Loury, Félibien et Legrain, membres.

Le public ne cesse d’affluer ; voici la Fanfare les Trompettes de Malesherbes, dirigée par M.Nizet ; l’Union Musicale de Milly, dirigée par M.Bertrand ; le brigadier de gendarmerie, Baudoin, le gendarme Ribet, les agents, les gardes champêtres, assurent le service d’ordre, auquel contribue efficacement la compagnie des sapeurs-pompiers commandée par le lieutenant Chagot, toujours fidèle au poste.


Vive Fallières !

Tout à coup une clameur « Vive Fallières ! » s’élève de la foule. Tiré par deux vigoureux chevaux le « landau présidentiel » dénnomé « Char de l’Entente Cordiale », vient en effet de faire son apparition escorté à gauche par un général anglais (M. Albert Perrot) ; à droite par un général roumain (Albert Berthelot). Mais à mesure que la voiture s’approche, les éclats de rire succèdent aux exclamations : « Cest Félibien, c’est Félibien ! », s’écrie chacun. C’est en effet l’ami Félibien, en compagnie du lieutenant Chagot et de MM.Loury et Legrain ; tandis que sur son bidet infatigable, M.Aubry parcourt une dernière fois la colonne, la voiture du Comité prend place dans le cortège qui se met en marche aux sons d’un pas redoublé allégrement enlevé par les Trompettes de Malesherbes.

L’automobile décorée de fleurs dans laquelle ont pris place MM.Longuet fils et Lucien Timbert ouvre la marche ; puis, en guise de sapeurs, un groupe de Trompettes de Malesherbes ; voici une escouade de grenadiers russes paraissant arriver en droite ligne des bords du Volga.

 



Le Char de l’Aviation

Le Char de l’Aviation qui vient ensuite est dû à MM.Louveau fils, Marcel Perrot et frère ; traîné par quatre beaux chevaux noirs prêtés par M.Crenier, fermier à Saint-Georges, il est monté sur un grand chariot aimablement mis à la disposition des organisateurs par M.Poirrier, MM. Lhuile, Das, Aubert et Varloteau en ont assuré gratuitement l’exécution ; il représente, à l’avant, un élégant monoplan Blériot dans lequel se tient, imperturbable, malgré la difficulté qu’il éprouve à maintenir ses moustaches, le pilote Villain. Dans le fond, la France, personnifiée par Mme Frère, modiste, tient le drapeau tricolore et couronne de lauriers les aviateurs. Mlles Hanel, J.Grenier, J.Chagot, C.Delapierre et Lucie Viron, toutes plus gracieuses les unes que les autres, quêtent ou vendent au profit de l’aviation.

Le bateau de fleurs « Ville de Milly » œuvre de M.Séguin, est le Char des Enfants ; par dessus le bord, on voit frétiller en effet, zouaves, chasseurs et cuirassiers minuscules, et tout un essaim de jolies fillettes en pimpants costumes de pierrots, pierrettes, etc. ; Mlle Marcelle Morin a la direction de ce remuant équipage.

Entre les chars, des seigneurs du règne de Louis XIII, un groupe d’Incroyables, des Mexicains, font admirer leur superbe prestance. Plus beaux encore sont les hussards qui précèdent le Char de la Musique. Celui-ci, monté et décoré dans les ateliers de Mme veuve Poiget, représente une gigantesque automobile. Le roulement en est bon à vide, mais quand l’aimable M.Bertrand, directeur, et son groupe de musiciens ont pris place sur les banquettes, il faut adjoindre au moteur 2HP qui a été prévu un troisième cheval. Quelque peu secoués, nos musiciens n’en jouent pas moins d’une façon impeccable.

Une escorte de quatre superbes mousquetaires, sous les traits desquels on reconnaît MM.Henri et André Darbonne, Godin et Saulnier ouvrent la marche au Char de la Reine, auquel M.Seguin a apporté tous ses soins. Plus belle que jamais, Mlle Angèle Godard y trône, avec une sémillante compagnie de demoiselles d’honneur, Mlles Y.Delapierre, G.Crenier, L.Denis, G.Montalent, G.Bouret, L.Saulnier et L.Petit.

Quant au « Président Fallières », il est escorté par des Hussards de la République et par un piquet de Gardes Françaises.

Quel mystère peut contenir le char du Bazar Mystérieux. De toutes gracieuses jeunes filles y vendent au prix de 0.Fr 25 des pochettes-surprises contenant entre autres curiosités la brochure « Notre avenir est dans l’air ». Certes on eût vu avec plaisir un Védrines venir les lancer au-dessus de Milly en aéroplane, mais comment se plaindre quand des vendeuses aussi gentilles que Mlles Y.Chagot, L.Barbier, C.Godard, M.Véron et M.Godard les offrent, avec en plus, un gracieux sourire.



Le Char de la Gaieté

Dans le Char de la Gaieté, l’organisateur, M.Villette, vendait lui-même des chansons de circonstance dont il est l’auteur. Voici quelques unes de strophes que chantait Mesnil, accompagné sur le violon par Marcel Dupré et l’auteur, et sur la mandoline par Prouteau.

Milly Port’Aviation
Air du REGIMENT MODERNE

I

Si j’étais votre conseiller
J’demanderais à notre député
De faire Milly sans tarder
Installer un aérodrome
Avec des appareils chouettes ;
Choisissez et, dites au plus tôt ;
Mon idée, moi c’est les Blériots
Actionnés par des moteurs Gnôme.

II

Il en faudrait au moins quinze cents
A seul’fin que les habitants
Puisse prend’ le leur de temps en temps
Pour aller faire un’ petite ronde.
Ils seraient heureux comme des rois.
Pas malin d’mener ça, ma foi,
Car moi, j’prétends au bout d’un mois
Pouvoir enlever une Joconde.

III

Et ça rendrait certainement
Un grand service à bien des gens
Pour ceux qu’on des chiens notamment
-J’les tire de loin sans que ça paraisse –
Ils s’en iront en aéro
Faire prendre l’air à leurs cabots
Et ça s’ra en vogue bientôt
Car ils n’auront pas besoin d’laisse.

Une autre fantaisie du chansonnier indique, sur l’air de la Valse Brune, le moyen de résoudre la vie chère :

Il faut qu’à partir d’un délai fixé,
Et sans exception, tous les commerçants,
Ferment leurs caisses et me donnent leurs clefs…
N’ayez pas peur, c’est pas pour fouiller dedans.
Vous n’aurez plus d’mauvaises pièces, et pour cause
Puisque aucun client ici n’en recevrez
Et puis autre part, ça s’ra la même chose,
N’importe où vous irez.

Refrain

Allez chez Villette
Il vous donnera une cannette
Chez Tranchant une mominette
Un byrh chez Blaiseau,
Pour l’absinthe nature,
Goudou la don’ra, c’est sûr.
Enfin on prendra biture
Chez tous les bistrots !

On donnera partout, on ne vendra pas, c’est cela qui est économique.

Ce fut un des gros succès de la cavalcade. Il en a été vendu près de 600 exemplaires. Mais reprenons notre description :

Picadors (G.Félibien et G.Mignot) et toréadors (Henri Vincent et H.Artaz) avaient la garde du Char du Commerce dû à M.Chanet, boucher. On y admirait un bœuf superbe, pesant 1 800 livres, provenant de la ferme du Coudreau, qu’exploite Henri Coisnon, cultivateur.

Enfin, après le Char des Vendanges dans lequel M.Blaiseau « du Père Tranquille » faisait une vivante apologie du jus de la treille, venait le Char du Bon Vieux Temps organisé par M.Arthur Duché. Monté sur son âne, Firmin Legendre, coiffé du traditionnel bonnet de coton, ouvrait la marche, tandis que dans le char de bons vieux normands se « la coulaient douce » en faisant sauter des crêpes et cuire des œufs durs vendus au profit de l’aviation. Gentiment attiffée en « naturelle » du pays de Bray, Mlle Emilienne Malherbe filait au rouet de nos vieilles grand mères.

 
L’Apothéose

Pendant plus de deux heures, le cortège parcourut les rues de Milly, au milieu d’une affluence incessamment renouvelée, pour venir se rassembler sur la place du Marché, où se massait une foule compacte comme on n’en avait pas vu de longtemps assemblée en ce lieu. Avec la collaboration des clairons des pompiers, la Société musicale faisait vibrer les cœurs aux accents de Sambre-et-Meuse.

Ah, si à ce moment, on avait entendu au-dessus de Milly, le ronflement d’un moteur d’aéroplane, la foule eût été moins ménagère de l’obole que sollicitaient pour l’aviation d’intrigants quêteurs. Malheureusement, à ce moment même à Villesauvage, alors que les monoplans du capitaine Félix et du lieutenant de La Morlaye étaient au point pour partir, il vient à tomber une averse malencontreuse qui obligea les grands oiseaux blancs à rentrer précipitamment. Quelques gouttes tombèrent à Milly même, mais, peu importait ; la cavalcade était un succès, sans le moindre accident, ni incident, et tandis que la musique jouait la Marseillaise chacun s’empressait de féliciter les organisateurs en la personne de leur infatigable président M.Aubry et du si dévoué commissaire de la fête, M.Nouviaire.

Puis chacun des groupes venait successivement se placer devant l’objectif du photographe afin de perpétuer par l’image le souvenir de cette belle journée dont le succès a amplement récompensé les organisateurs de leurs efforts : car il faut bien considérer que trois semaines seulement ont suffi pour l’organisation de cette cavalcade qui a produit 300 francs rien qu’en vente de pochettes et d’insignes d’aviation et qui a été en même temps une bonne fortune pour le commerce local.





Après la cavalcade, la fête s’est continuée par de nombreuses randonnées sur les chevaux de bois de M.Legrand, de Nemours, installés devant la Halle, et à 8 heures du soir par une brillante retraite aux flambeaux jouée par les Trompettes de Malesherbes qui sont allés, jusqu’au hameau de Saint-Pierre.

La commune d’Oncy avait tenu à s’associer à la fête en votant comme subvention au Comité d’organisation une somme de 25 Fr.

M.Aubry, président et ses collaborateurs de la commission d’organisation, remercient sincèrement toutes les personnes qui à un titre quelconque ont bien voulu leur prêter leur concours pour l’organisation et la réussite de la cavalcade du 24 Mars.

Les membres du Comité d’organisation du char de l’Aviation, nous prient de remercier les personnes qui les ont aidés et particulièrement MM.Lhuile, ancien tapissier ; Poirrier, Crenier, Das, Aubert et Varlotteau ; ils remercient encore les dames et les jeunes filles qui, pendant quinze jours, de 8 à 11 heures du soir, et souvent plus tard, ont fait des fleurs pour tous les chars sous la direction de Mme Frère. La collaboration de toutes ces bonnes volontés a eu un heureux résultat, car, toutes dépenses payées, le char de l’Aviation a produit une somme nette de 46 fr 80 qui sera versée à l’aviation militaire.

 
Source : L’Abeille d’Etampes du 30 mars 1912