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En 1923, Adrien Sée, Procureur de la République à Etampes, déniche dans les archives du Tribunal le dossier d'une affaire pittoresque dont Milly-La-Forêt fut le théâtre en 1818, et décide d'en publier le récit. Nous en donnons ici les principales pages.
Le Carême de 1818 à MILLY fut troublé par une querelle héroï-comique entre le Curé Canard et une de ses jeunes paroissiennes, Mlle Caroline DUMONT qui, malgré plusieurs défenses, persista à se présenter à l'office, la tête couverte d'un mouchoir ou, comme on disait alors, d'une "marmotte", dénomination qui vient de ce que les petites Savoyardes, montreuses de marmotte, étaient ainsi coiffées.
L'affaire tourna au scandale.
Bravé dans son église, le curé de Milly porta plainte aux autorités civiles et ecclésiastiques et dénonça le sieur Dumont, ancien commissaire des guerres, et sa fille comme des monstres d'impiété et d'irréligion.
Voici les faits :
Pendant le Carême à Milly, il y a une prière certains jours de la semaine, à l'église, où se rend un grand nombre de paroissiens. Le Vendredi 27 Février 1818, la demoiselle DUMONT et beaucoup d'autres jeunes personnes y assistaient en réunion, presque toutes coiffées d'un mouchoir sur la tête : c'est la coiffure habituelle de Mlle DUMONT. Pendant l'exhortation que faisait M. Le Vicaire et lorsque le silence régnait à l'église, M. Canard quitte sa place, va à la demoiselle DUMONT et s'adressant à elle, lui dit de la voix la plus courroucée :
Il est indécent, malhonnête à vous, Mademoiselle, de vous présenter ainsi coiffée à la Prière. Iriez-vous dans cet état au bal ou à la noce ?
A quoi la demoiselle DUMONT a répondu :
Vous savez bien que cette coiffure m'est habituelle et journalière.
Et M. Canard a répondu d'une voix encore plus forte et plus animée :
Vous êtes une malhonnête, une indécente.
Le Vendredi 6 Mars, il y avait aussi à la prière beaucoup de filles et de femmes coiffées ou couvertes d'un réseau et en mouchoir, quoique M. le Curé eût donné l'ordre au Suisse et au bedeau de ne laisser entrer aucune femme ainsi coiffée et le dit jour, M. le Curé mécontent de ce que ses ordres n'avaient pas été exécutés et après avoir fait une sortie peu conforme à son caractère, contre les femmes dont il avait signalé la coiffure, fit annoncer en chaire par son vicaire qu'il n'y aurait pas de prière le mercredi suivant.
Le 8 Mars, il écrivit à M. Sergent, Procureur du Roi à Etampes, la lettre suivante :
Monsieur le Procureur du Roy,
Il y a quatorze ans que je suis curé de Milly, il m'a été impossible, malgré mon zèle et mes soins, de parvenir jusqu'à cette heure, à établir le respect dû au lieu saint. Il est à votre connaissance que j'ai été troublé souvent dans l'exercice de mes fonctions, je l'ai été en outre bien des fois dont vous n'avez pas été informé, me contentant d'en gémir en secret. Mais un plus long silence pouvant compromettre singulièrement les intérêts de la religion, je me suis cru obligé de vous adresser le mémoire ci-joint.
Le sieur Dumont s'est retiré à Milly depuis environ quatre ans.Commissaire des Guerres pendant la Révolution, ensuite cafetier à Paris, enfin rien, il emploie ses loisirs et son désoeuvrement à critiquer, calomnier, chansonner les uns et les autres. Perclus de l'usage de ses jambes, on dirait qu'il cherche à se dédommager de cette privation par l'étonnante activité qu'il donne à sa langue et à sa plume, aux saillies desquelles personne n'échappe. Mon neveu et moi avons été nommément l'objet des satires de M. Dumont et fourni matière à la verve poétique, tant du père que de la fille, mais ce reproche est le moindre de ceux que j'ai à lui faire.
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[Suit un long développement sur l'immoralité du Sieur Dumont].
Le curé ajoutait que le Sieur Dumont joignait l'impiété à la bouffonnerie et qu'il existait entre les mains de quelques particuliers de Milly des écrits, chansons attribués au Sieur Dumont dans lesquels on serait embarrassé de décider ce qui domine davantage de l'ordure ou de l'impiété.
Parallèlement, Marie-Agathe-Caroline Dumont, âgée d'environ 21 ans, se plaignait à son tour de l'attitude du Curé en défendant non seulement le port de sa coiffure mais encore en accusant d'irrespect dans l'exercice de son ministère le curé qui peu de temps avant avait suivi un convoi funèbre monté sur un âne.
Caroline Dumont produisait le certificat suivant :
Nous, notables habitants de la commune de Milly, qui avons l'habitude de fréquenter l'église, certifions à qui il appartiendra : 1° que Mademoiselle Dumont, fille de M. Dumont, ancien commissaire des guerres, habitant de cette commune, est une demoiselle irréprochable sous le rapport des moeurs et de la conduite ; 2° que sa coiffure journalière est un mouchoir propre et très décemment posé sur sa tête ; 3° enfin qu'il 'est à notre connaissance entière qu'elle s'est toujours conduite à l'église avec révérence et modestie.
En fait de quoi nous avons signé le présent pour servir et valoir ce que de raison.
Milly, ce 4 Mars 1818.
Suivent les signatures dûment légalisées : Hamelin, propriétaire ; Reignier, adjoint ; Humberotte, huissier royal ; Ponsier, maître cordonnier ; Daix, percepteur ; Pasque, Chevalier de la Légion d'Honneur ; Toussaint, Gable, propriétaire ; Cordier, suppléant du juge de paix ; Jean-Baptiste Humblot, membre du conseil municipal ; Charpentier Delaboulay, ancien maire, etc...
Le Curé ne manqua pas d'être informé de la lettre et des justifications envoyés par le demoiselle Dumont au Parquet. Le certificat des notables eut le don d'échauffer sa bile et il adressa aussitôt un supplément à sa plainte :
Monsieur,
1° J'aime à croire que les signataires de ce certificat n'ont jamais vu la fille Dumont dans ses toilettes de bal, de danses publiques ou même de visites de pure honnêteté. Car alors ils auraient du certifier que la marmotte est la coiffure ordinaire de Mlle Dumont quand elle est en chenille ou dans son grand négligé, mais qu'elle a soin de mettre plus décemment lorsqu'elle veut se présenter dans quelque lieu tant soit peu important ou respectable.
Mlle Dumont a pris soin elle-même de donner le démenti sur ce point aux signataires du certificat, puisqu'elle affectait (le lendemain de la signature) de se présenter partout en chapeau monté à ruban, touffes, etc...
2° On atteste en outre dans ce certificat que la père et la fille Dumont sont de bonne vie et moeurs.
Je n'ajouterai qu'un mot pour prouver que cette affaire n'a été imaginée que par la méchanceté et qu'elle est le résultat d'une cabale aussi odieuse qu'elle est peu déguisée.
Hier, 8 du courant, la demoiselle Reignier, une des tenantes de la fille Dumont, prit l'enfant de la nommée Chagot et l'habilla exprès en marmotte, pour l'apporter à l'église dans le dessein d'y exciter du trouble...
Devant la tournure que prenaient les événements, M. le Procureur du Roi fit procéder à une enquête approfondie et consulta le Maire de Milly.
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M. le Maire Havard "homme ami de la tranquillité et du bon ordre" fut bien embarrassé et répondit à M. le Procureur, "conservateur des bonnes moeurs" :
... Il ne m'appartient pas, Monsieur, d'avoir une opinion sur cet événement ; je dois me borner au récit impartial des faits et abandonner le reste à votre jugement...
Le brigadier de gendarmerie royale à la résidence de Milly fit également son rapport favorable à Mlle Dumont "qui a les moeurs les plus douces jointes à une mise très décente et se conduit à l'église avec toute l'onction possible".
Dans l'intérêt des moeurs et de la religion, le Procureur du Roi prêchait le calme. C'était compter sans le curé Canard qui multipliait ses démarches.
Il était venu de Milly à Etampes voir le Procureur du Roi et le sous-préfet. Le Procureur du Roi lui avait donné des conseils de modération. Le sous-préfet semble avoir accueilli fraîchement le curé qui essaie de reprendre l'avantage, dans la lettre suivante :
... Je me contenterai de dire que la commune de Milly se compose de 500 feux, qu'elle compte plus de 300 chefs de famille qui savent signer, que 54 personnes ont bien voulu attester en faveur des Dumont et que tout le reste des habitants a refusé de le faire ; je n'avancerais peut être rien de trop en disant que parmi ces derniers, il s'en trouverait peut être plus de 60 qui déposeraient que la conduite du sieur Dumont et de sa fille est tellement immorale qu'on peut la regarder comme un fléau plus dangereux que la peste pour la paroisse de Milly où elle cause un tel scandale que j'ai dû m'élever avec force contre ce débordement de corruption et le dénoncer aux autorités civiles qui sont chargées de protéger les moeurs et de sévir contre la licence et la perversité.
... La fille Dumont qui n'assiste que très rarement aux offices divins vint donc à la prière du soir, le Vendredi 27 Février, avec la coiffure dont j'avais fait sentir l'indécence. Je lui en fis des reproches, mais bien loin d'en tenir compte, elle affecta au contraire de s'en moquer et elle intrigua pour entraîner ses camarades dans la révolte et leur faire épouser sa querelle. Il y eut en conséquence un rassemblement de jeune personnes chez le nommé Dupré. Au nombre des insurgés se trouvaient les Demoiselles Reignier, Daix et quelques autres. Elle prirent ensemble la résolution de venir me braver jusque dans le sanctuaire et formant aussitôt un bataillon carré, elles se dirigèrent vers l'église, le Mercredi 4 du courant, pour assister en marmottes à la prière du soir et accompagner la fille Dumont qui seule était en marmotte. Cependant, le courage et la hardiesse manquèrent à presque toutes. La plus jeune fille Dupré entra dans le lieu saint, mais se tint derrière un pilier. Pour Mlle Dumont, elle poussa l'effronterie jusqu'au bout et vint se placer à proximité du banc où j'ai coutume de me mettre pour assister à la prière. J'avais été informé du complot et je jugeai qu'il était prudent de ne pas assister à la prière ce jour là. Mais le vendredi suivant, 6 de ce mois, je fis placer les Suisses et bedeau à la porte de l'église et je leur recommandai d'interdire l'entrée à toutes les demoiselles indécemment coiffées.
Plusieurs de celles dont la coiffure était indécente se retirèrent, mais Mlle Dumont, qui ne peut être arrêtée par aucun procédé de décence et de raison, alla son train, força la sentinelle et vint se placer au milieu de l'église. Moins surpris qu'affligé de sa démarche, j'allai à elle et je lui déclarai qu'elle me troublait dans mes fonctions, qu'elle prenait occasion de la prière pour donner du scandale et qu'en conséquence j'allais faire cesser les prières du soir à compter de ce jour...
L'évêque de Versailles, saisi de l'incident, ne différa pas sa réponse, il témoigna, le 1er Avril, au curé son désir que l'affaire en restât là et que sa plainte fut retirée.
Mais le bouillant curé voulait obtenir "qu'il soit fait une condition à toutes les femmes de Milly de ne pouvoir entrer dans l'église la tête coiffée d'un mouchoir, condition sans laquelle il n'abandonnait pas sa plainte contre la Demoiselle Dumont" :
Je commence par poser en thèse générale que la coiffure en mouchoir ou la marmotte, n'est pas du tout la coiffure des femmes et filles de Milly. On ne fait usage de ce costume que pour la nuit ou pour balayer les ordures de la maison et aller à la rivière laver le linge. Mais on ne se permet pas d'assister au service divin avec cette coiffure dont l'indécence est généralement reconnue.
... Comme il n'y avait plus de prières du soir après la semaine saine, la fille Dumont a alors repris son chapeau qu'elle n'a cessé de porter pendant toutes les fêtes afin d'assister, dans une auberge, à un repas qui a duré trois jours et où elle aurait rougi de se présenter en marmotte, quoique les convives fussent de la dernière classe, c'est-à-dire des boulangers, des fils et filles de cordonniers, etc..., tous personnages qui ne devaient pas exiger de la part de la fille Dumont une grande dépense de toilette.
Malgré ce comble d'audace et d'irréligion, je suis encore disposé, ajoutait le curé, à entrer dans vos vues pacifiques et à ne donner aucune autre suite à cette affaire pourvu qu'il soit fait défense de se présenter à l'église pour assister aux Saints Offices avec une coiffure indécente adoptée seulement pour la nuit. Si je n'obtiens pas cette satisfaction, j'aurai la douleur de ne voir bientôt dans mon église que des marmottes. Garçons et filles, tous se croiront autorisés à assister à la messe aux jours les plus solennels avec des mouchoirs sur la tête. Car je dois vous faire connaître, Monsieur, que les hommes ont déjà adopté le mouchoir pour travailler dans les champs. Ils se permettent aussi d'assister aux convois et aux processions le chapeau sur la tête. Vous voyez d'après cela qu'il n'y a plus qu'un pas à faire pour se présenter à l'église en toilette de nuit...
Excédé, le Procureur du Roi répondit le 12 Avril 1818 :
Monsieur le Curé,
Il m'est impossible, sans commettre un excès de pouvoir, d'autoriser la défense que vous vous proposez de faire à toutes les personnes du sexe féminin à Milly de se présenter à l'église, la tête coiffée d'un mouchoir...
Permettez mois de vous faire remarquer, Monsieur le Curé, que les sentiments peu favorables que vous portez à la Demoiselle Dumont, vous entraînent, contre votre intention sans doute, à solliciter une défense générale, lorsque vous ne voudriez atteindre que Mlle Dumont seule.
Rappelez-vous, Monsieur, que vous êtes vif et même violent. Tentez de vous calmer et vous reconnaîtrez que vous êtes égaré par un sentiment, je ne dirai pas de haine, mais d'animosité qui vous domine, et dont les suites ne peuvent qu'être fâcheuses pour vous. Encore une fois, M. le Curé, la coiffure contre laquelle vous vous élevez avec tant d'aigreur n'a rien d'indécent ; elle n'est autre chose qu'une mode économique et tant qu'il y aura des classes de femmes malaisées, cette mode se maintiendra.
Les derniers brandons de discorde allaient s'éteignant... Le vieux soldat pestait bien à part soi contre la tyrannie du Curé:
Si je n'étais pas ennemi de tout ce qui porte une teinte d'émeute populaire, je vous produirais une attestation des habitants en général qui vous montrerait que la suppression de la coiffure dite marmotte, est une tyrannie contraire à l'intérêt des pauvres familles qui souffrent beaucoup d'être forcée à des dépenses de blanchissage de bonnets pour envoyer leurs enfants au catéchisme, aux prières et autres offices des jours ouvrables.
Puis un post-scriptum, lourd des concessions faites :
Je vous assure M. Le Procureur du Roi, que je ferai tous les sacrifices humainement possibles pour la tranquillité, mais je ne souffrirai jamais que ma fille, à 21 ans, qui a de la religion, des moeurs et une éducation soignée, soit sous la dépendance servile des passions de son curé !
L'orage, près de se dissiper, allait-il gronder à nouveau ? Non. Le 1er Mai 1818, la paix était faite ainsi qu'il résulte d'une lettre du sieur Dumont au Procureur d'Etampes :
Comme l'opinion de toutes les autorités est fixée dans l'affaire de ma fille avec son curé et qu'il n'est pas dans les principes qu'une demoiselle de 21 ans conserve de l'éloignement pour son pasteur, j'ai ordonné à ma fille de se rapprocher de lui. L'entrevue a eu lieu ces jours derniers : on s'est promis de part et d'autre d'oublier le passé. Je suis donc fondé à croire que la paix va renaître.
De son côté, le Procureur général avait conclu que le déplacement de M. le Curé de Milly serait un bienfait qui profiterait à la religion et aux moeurs dans une ville où ce scandale n'était pas le premier qu'on ait eu à reprocher à cet ecclésiastique qui dégrade son ministère, qui s'abandonne très facilement aux mouvements de la violence et de la colère et nourrit des sentiments haineux sans vouloir écouter les conseils de modération qui lui ont été données par Mgr l'Evêque de Versailles.
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Récit d'Adrien Sée
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