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dimanche 20 avril 2008

Une épidémie de choléra dans la vallée de l'Ecole

L'épidémie de 1832 s'inscrit dans la longue marche de la deuxième pandémie de choléra. Nous possédons de nombreux documents scientifiques se rapportant à cette épidémie dans les grandes villes mais peu de choses sur ce qui se passait dans les villages. Nous avons eu la bonne fortune d'avoir entre les mains les registres paroissiaux de Courances et de Dannemois , alors diocèse de Versailles, pour les années 1828 à 1832. C'est l'abbé Pitet qui était curé desservant des paroisses de Courances et de Dannemois, cette dernière jusqu'au 15 avril 1832, date à laquelle il fut remplacé par l'abbé Gouaux, curé desservant de Soisy-sur-Ecole. Ce prêtre eut l'ingénieuse idée d'inscrire, dans la marge du registre, la cause du décès pour les malades morts du choléra. Plus scientifiques sont les certificats médicaux de décès demandant l'inhumation immédiate des cholériques morts foudroyés, collés au registre des décès de la mairie de Milly-la-Forêt qui signent ainsi l'authenticité de la maladie.
Par ailleurs, l'étude de la surmortalité dans les différents villages : Courances, Milly, Soisy-sur-Ecole, Moigny , Dannemois, Saint-Germain-sur-Ecole, nous permet de savoir ce que fut l'épidémie.

I. — LA DEUXIEME PANDEMIE DANS LE MONDE

Le choléra venant du delta du Gange, de «chez les Birmans », débute en Europe le 6 février 1830 dans la province d'Orenburg au sud de la Russie et, malgré quarantaines, limi­tation du commerce et de la circulation des marchandises et des hommes, il allait ravager l'Empire russe et envahir toute l'Europe par les ports de la Baltique. Un corps d'armée russe, envoyé « rétablir l'ordre à Varsovie », le diffusa à travers la Pologne puis, la Prusse, l'Autriche, l'Angleterre furent touchées.

II. — EN FRANCE

L'épidémie débute à Paris vraisemblablement le 18 février 1832, importée par les médecins de retour de Pologne où ils avaient été étudier cette maladie inconnue. Certains l'avaient attrapée. Le premier cas, un portier de la rue des Lombards, avait justement comme médecin un de ceux-là. Calais était tou­chée en mars par la maladie venant d'Angleterre.
Devant l'importance de la contagion à Paris, le Ministre du Commerce Intérieur, dont dépendait la Santé Publique, réu­nit à l'Hôtel-Dieu des médecins venus des différentes provinces afin de leur montrer des cholériques et de leur enseigner un traitement bien aléatoire. Sans nul doute, ces médecins furent à leur tour les disséminateurs inconscients de la maladie au même titre que les colporteurs, les compagnons, les chômeurs, les nourrices venues chercher du travail dans la capitale, qui s'en retournaient dans leurs provinces dénutris et fatigués. Au total, 57 départements furent visités par la maladie. Il y eut officiellement 229 534 malades dont 94 666 sont morts ; pour Paris: 44811 malades et 21531 morts en quelques mois.

III. — A CORBEIL

Le premier cas de choléra à Corbeil est celui d'une femme (habitant rue Galande à Paris), le 4 avril 1832, bientôt suivi le 7 avril par un homme « venant de Paris où il avait été cher­cher de l'ouvrage ». Le 9, c'est une nourrice de 37 ans qui meurt à son tour. La maladie va surtout se développer à l'embouchure de l'Essonne sur les deux rives de la Seine. Elle fera 148 malades (58 hommes, 79 femmes, 11 enfants). Il y aura 46 morts et 102 guéris. Le docteur Edouard Petit, médecin des épidémies, a donné une excellente description de l'épidémie à Corbeil dans La Gazette Médicale de juin 18321.

IV. — DANS LA VALLEE DE L'ECOLE

En 1832, Courances et Dannemois sont deux petits villages respectivement de 369 et 411 habitants, aussi importants qu'aujourd'hui. Tous les métiers y sont représentés : cabaretier, tuilier, chaudron-nier, vigneron, boulanger, maréchal-ferrant, cor­donnier, nourrice, propriétaire. La vie s'écoule tranquillement, apportant chaque jour ses joies et ses peines.
A Dannemois, les cas de choléra seront authentifiés par l'inscription de l'abbé Gouaux sur le registre paroissial. Il y en aura 18 au total entre le 2 juillet et le 9 septembre.
Le 2 juillet meurt le fils Vedée, âgé de 7 ans ; le 4, le père ; la mère (et épouse) mourra 10 jours plus tard à Courances. Le 5, une mère et sa fille meurent de choléra et les cas vont se succéder, touchant régulièrement une ou deux personnes de la même famille : un autre cas le 6, un cas le 8, deux cas le 9 juillet, deux cas le 10 juillet dont un frère et sa sœur, un cas le 11 juillet puis, le 19 juillet, deux morts, un cas au mois d'août, le 17. Celui-ci, du fait de la longueur de l'incubation) pourrait sembler douteux s'il ne s'agissait d'une parente de cholérique et de l'affirmation de l'abbé Gouaux. Deux cholé­riques meurent les 20 et 30 août. Un dernier cas est signalé le 5 septembre.
A Courances, brutalement, le 27 juin à 10 heures du matin, la femme du meunier du moulin du Ruisseau, Marie-Rosé Jubert, épouse Venard, meurt. A 8 heures du soir, l'oncle du premier cas de Dannemois, Pierre Guérin, charretier, 51 ans, décède à son tour. C'est le début de l'épidémie qui va faire 14 morts à Courances entre le 27 juin et le 28 juillet. Le 28 juin, c'est Marie-Catherine Leclère, 67 ans, veuve Couderc, apparentée aux deuxième et troisième cas de Dannemois, qui meurt à son tour. Ce cas est important dans la marche de l'épidémie puisque le troisième cas de Dannemois sera une parente de Catherine. Et puis, les malades et les morts vont se succéder. Le 2 juillet, un autre charretier meurt à 6 heures du matin. Le 3 juillet, deux morts : une fillette de 13 ans à 3 heures du matin, le fils de Pierre Guérin à 8 heures du soir. Les cas vont continuer à se succéder: le 5 juillet, à 11 heures du soir, une femme de 40 ans dont la nièce âgée de 12 ans sera emportée par la mala­die ; le 8 juillet, une femme de 66 ans ; le 11 juillet, à 8 heures du matin, une autre femme ; le 8 juillet, à 6 heures du matin, Marie-Charlotte Leclère, sœur de Marie-Catherine ; le 10 juillet, à 10 heures, un « malheureux mendiant ». Et puis, la mère du premier cas de choléra de Dannemois, femme du deuxième cas, va mourir à Courances à la maison des sœurs (où elle s'était réfugiée) le 12 juillet, à 7 heures du matin, soit 10 jours après son fils et 6 jours après son mari. Pour clore cette longue suite de décès, une femme, sœur du deuxième cas, va mourir le 20 juillet et son mari la suivra dans la tombe 7 jours après.

A Milly-la-Forêt, en 1831, il y eut 46 morts dont 21 femmes, 23 hommes, 2 morts-nés. La répartition de cette mortalité, tant en âge que dans l'année, est homogène ; en 1832, 61 décès, 26 femmes, 33 hommes, 2 morts-nés. Nous sommes aidés, pour le diagnostic, par les certificats des médecins. Il y avait alors deux chirurgiens à Milly-la-Forêt pour 1 941 habitants. Le pre­mier décès avec certificat, qui est le premier cas de choléra authentifié « choléra foudroyant », concerne un billet collé à l'enregistrement du décès le 18 juillet ; c'est un sabotier de 47 ans. L'épidémie va se poursuivre en juillet avec 4 décès seu­lement, avec disparition en août. En septembre, reprise du choléra (certifié par les médecins) qui fera 35 morts jusqu'au 26 octobre (16 femmes, 19 hommes). Il est donc possible de situer le début de l'épidémie en juillet, cas d'importation, dispa­rition en août, mais réapparition sévère et véritable épidémie en septembre et octobre.

A Soisy-sur-Ecole (531 habitants), en aval de Dannemois, en 1831, il y eut 10 naissances, 3 mariages et 13 décès (7 hommes dont 4 de plus de 70 ans), alors qu'en 1832, il y eut 8 décès, 3 hommes et 1 femme, dont 4 de plus de 80 ans, jusqu'à fin juin. Par contre, dès le début juillet et jusqu'au 17 août, il y eut 13 décès dont 4 familiaux et, dès le 6 juillet, nous relevons le décès de la veuve et mère des deux premiers cholériques de Dannemois ; d'autres contaminés de la même famille mourront à Courances les 27 et 28 juillet.
A Soisy, nous pouvons dater le début du choléra du 5 ou 6 juillet, par contamination avec le malade de Dannemois mort le 2 juillet.

A Saint-Germain-sur-Ecole (177 habitants), petit village direc­tement sur la rivière Ecole et qui jouxte Soisy, il y eut, en 1831, deux décès, deux mariages, deux naissances. Par contre, en 1832, l'épidémie semble débuter le 20 juillet ; une femme de 32 ans meurt, mais ensuite les cas se succéderont rapidement et, à partir du 19 août, nous comptons 4 décès jusqu'au 7 septembre.

A Moigny (629 habitants), en 1831, il y eut 7 décès (dont 2 enfants de moins d'un an), 9 naissances et 3 mariages. En 1832, il y eut 8 décès, dont 1 enfant en bas âge et l'inscription du décès d'un militaire décédé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce. Le choléra semble avoir oublié Moigny puisqu'il y eut 10 décès l'année suivante, dont 5 enfants de moins d'un an, contre 14 naissances.
Cette absence de choléra à Moigny pose un problème puis­que ce village touche pratiquement celui de Courances et est irrigué par l'Ecole. Un début d'explication paraît être le fait que peu de familles semblent être apparentées avec les familles de Courances, de Dannemois ou même de Milly. Une réserve doit être faite dans le biais apporté par les « choléras morts », les malades guéris n'ayant pas été comptabilisés.

V. — CONCLUSION

Quelles conclusions tirer de cette épidémie le long de la rivière Ecole ?
L'arrivée de la maladie : il faut la considérer comme causée par les déplacements humains et la preuve en est, c'est que le premier jour de l'épidémie de Courances, c'est un charretier qui est touché. Les relations avec Corbeil et Paris étaient fré­quentes et nous avons relevé, au début de l'année 1832, le décès d'un nourrisson de 28 jours dont les parents résidaient à Paris. Il y avait une maison de nourrices, boulevard Saint-Germain et, dès le début de l'épidémie, ces femmes regagnèrent précipi­tamment leur lieu d'origine emmenant avec elles le germe de la maladie.
La proximité des dates de décès au sein des groupes fami­liaux correspond au délai classique de l'incubation, de 4 heures à 4 jours, sauf pour les cas extrêmes pour lesquels nous pou­vons admettre une contamination par les objets souillés. Il y a des liens familiaux à Courances et à Dannemois pour 25 décédés du choléra sur 33. De ces 33 cas, on peut soustraire un mendiant, une fille d'origine inconnue et 5 personnes originaires d'autres départe-ments.
Patrice Bourdelais a pu écrire dans sa thèse2 : « Sur une population de 807 personnes, une distribution aléatoire de 26 décès n'en aurait pas concentré 25 dans 8 groupes familiaux ; on peut penser que les échanges, les contacts et les relations sont plus nombreux à l'intérieur des groupes qu'entre les autres individus d'une même communauté. Il est bien évident que le premier mort de choléra de Dannemois, le 2 juillet 1832, était allé rendre visite à son grand-oncle, l'un des trois premiers décédés à Courances. Mais les relations de travail, de voisinage, auraient-elles été si rares qu'elles n'aient permis la contami­nation hors du groupe familial ? ».
Patrice Bourdelais confirme ainsi, en partie, notre hypo­thèse selon laquelle, outre la transmission humaine, semble se faire jour une sensibilité génétique à la maladie.
Quant aux moyens sanitaires de l'époque, ils étaient à peu près nuls : peu de médecins, pas de traitement non plus. Res­taient les secours de la religion. C'est ce qui apparaît dans le fait que la mère et la femme des premier et deuxième cas de Dannemois se réfugient à l'hospice des Sœurs de la Croix de Saint-André et y meurent en même temps qu'un mendiant.
Tout aussi dramatique, et comme pour clore cette épidémie, est la fin de l'abbé Pitet, curé desservant de Courances. A l'avant-dernière page du registre, une main anonyme a inscrit le baptême de Marie-Eucherisse Coutard le 4 novembre et poursuit ainsi : « Le baptême ci-dessus mentionné a été administré par Monsieur le curé de Courances, le jour même où il a été atteint de la maladie qui l'a enlevé à sa paroisse, ce qui l'a empêché de pouvoir lui-même dresser et signer cet acte, ce qui a été constaté par Monsieur le curé de Milly sur les déclarations de personnes dignes de foi en la réunion des ecclésiastiques du canton et autres qui ont assisté à l'inhumation de Monsieur Pitet, curé de cette paroisse ». L'abbé Pitet est donc tombé malade le 4 novembre. Il est mort le 26 à l'âge de 73 ans et a été inhumé le 30 novembre 1832. A son inhumation assistaient les curés de Milly, de Buno, de Moigny, de Champmotteux, de Soisy-sur-Ecole, de Maisse, de Chailly-en-Bière, de Fleury et de Noisy. Tous ont signé l'acte d'inhumation. La dernière victime par choléra meurt près de trois mois avant. II est peu probable que l'abbé Pitet soit mort de choléra car l'épidémie était éteinte, mais il a été au bout de ses forces.
Si j'ai rapporté les heures de décès des cholériques de Courances, c'est pour mieux authentifier le dévouement de ceux qui étaient le seul recours contre l'épidémie : déplacements, veilles, réconforts tout au long de la lente agonie des cholé­riques, associés à la notion de totale inefficacité, tout cela devait venir à bout de la résistance des plus solides.
« Les anciens avaient fait un demi-dieu de Thésée pour les avoir affranchis du tribut qu'ils payaient à la voracité du Mino-taure. Cette allégeance nous dit ce qu'aurait mérité l'homme de génie qui nous affranchirait du tribut bien autrement consi­dérable que nous payons à la Peste du Gange et tout ce que la Patrie lui devrait de récompenses naturelles et de suprêmes honneurs. » C'est ce qu'écrivait Monsieur Castera dans La Gazette Médicale de 1832 (p. 263). Pasteur avait alors dix ans.


A. dodin,
Professeur à l'Institut Pasteur,
Chef de l'Unité « Choléra et Vibrions »
et du Centre national de références des Vibrions

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