Pierre Mulsant, ce héros méconnu.
Le 14 juillet 1944, malgré l'interdiction, précédée par plusieurs appels, cette journée vit des actions se dérouler dans toute la France : débrayages, manifestations et opérations des maquis contre l'occupant. À Paris, une grande manifestation a lieu place de la République, encadrée par des résistants armés. De nombreuses autres manifestations ont également lieu dans de nombreuses communes de la région parisienne. Et ce même jour de fête nationale, Pierre Mulsant se trouvait enfermé dans la prison de Fontainebleau.
Pierre Mulsant, un jeune Français formé par les services secrets britanniques, parachuté en France au printemps 1944, était le chef du réseau « Minister » en vue de préparer le « D Day ». Mais le 13 juillet 1944, il est arrêté par les Allemands dans la forêt de Fontainebleau, en pleine mission de sauvetage d’aviateurs anglais. John Barett (alias Charles Meunier), son opérateur radio, connu pour les transmissions radio sous le nom de « Innkeeper » (Aubergiste) fut arrêté avec lui. Soumis à la torture, Pierre Mulsant ne parle pas. Il est déporté à Buchenwald en août 1944 avant d’être fusillé deux mois plus tard. Décoré de la Légion d’honneur, il s’est également vu décerner la Military cross. Pourtant, pas de trace de lui dans les livres d’histoire, pas de rue à son nom ni de monument à sa gloire.
Pierre Mulsant (alias Paul Guérin)
Photographié dans son uniforme britannique en 1943.
Il faudra attendre le récit poignant d'un aviateur américain pour que soit connue son histoire, à travers le livre (en anglais) In The Shadows of War de Thomas Childers (https://archive.org/details/B-001-024-475-ALL/mode/2up).
En voici un extrait :
Ce jeudi matin du 13 juillet 1944, Charles transmettait depuis le petit appartement situé derrière la boulangerie de Marcel Ballaguet à Nangis.
Lorsqu'il décoda un nouveau message : une équipe de commandos du SAS - deux ou trois hommes, ce n'était pas clair — avaient été parachutés dans la forêt de Fontainebleau pendant la nuit et avaient eu des ennuis. Ils étaient dans la zone proche de la plaine de Chanfroy, au sud de Barbizon, à la lisière ouest de la forêt. Les troupes allemandes étaient dans la zone et les cherchaient. Des coordonnées suivaient. Le réseau « Minister » pouvait-il faire quelque chose ?.
En consultant la carte Michelin usée qu'il emportait avec lui, Pierre Guérin localisa les coordonnées dans la plaine de Chanfroy. L'équipe d'atterrissage semblait être à une trentaine de kilomètres au sud de Melun, entre la forêt et les marais à l'ouest d'Arbonne. Plusieurs fois il tenta de joindre par téléphone ses contacts près de Fontainebleau, mais sans succès. Il n'y avait pas d'autre possibilité, réalisa-t-il, que de faire le voyage lui-même.
Charles et Pierre quittèrent Nangis en fin de matinée pour se diriger vers l'ouest en direction de Melun avec la traction avant. C'était une journée étouffante, avec des nuages bas qui traînaient langoureusement dans le ciel depuis l’ouest. Après les sombres banlieues industrielles de Melun, ils traversèrent la Seine au pont de Lattre. De Melun ils suivirent ensuite la route départementale sud, longeant la lisière ouest de la forêt. Ils passèrent sans incident le bourg de Chailly, traversèrent au ralenti la grande rue à Barbizon.
Quand, juste à la sortie du village d'Arbonne-la-Forêt, alors que la voiture tournait dans un virage, un contrôle allemand les arrêta. Cela semblait être une simple routine, la Feldgendarmerie interrompait la circulation, vérifiant paresseusement les papiers. Pierre avait franchi de tels barrages des dizaines de fois sans le moindre problème.
Mais aujourd'hui, les soldats, brandissant leurs pistolets mitrailleurs, ont fait signe aux trois hommes de descendre de l'automobile.
Le Feldwebel demanda à voir leurs papiers. Il prit le portefeuille de Pierre, l'ouvrit et le retourna à l'envers, examinant la liasse de cartes d'identité et de rationnement. Quand, dans un repli, il trouva un petit carré de papier, à peine plus grand qu'un timbre. Le dépliant avec grand soin, il l'étala sur le capot de l'automobile. Pendant qu'il l'étudiait, ses yeux s'élargissaient. Il leva les yeux vers Pierre et souleva le papier pour qu'il le voie.
Pierre se figea. Dans la main du Feldwebel, déplié maintenant, le papier montrait un ensemble d'instructions imprimées en plusieurs langues sur la façon d'assembler un pistolet Sten. Pierre le regarda avec incrédulité. Le sol semblait s'ouvrir sous ses pieds. Comment avait-il pu le laisser là ? Comment avait-il pu l'ignorer ?
Le Feldwebel n'attendit pas sa réponse et cria : « Terroristes ! » Les soldats se rapprochèrent rapidement, se saisirent de Pierre, le jetant brutalement sur le capot de la voiture. En quelques secondes, ils furent menottés. Pendant un instant, Pierre pensa que les Allemands allaient les abattre sur place. Mais le sergent parlait dans un téléphone de campagne et bientôt une grosse automobile militaire, accompagnée d'un side-car, apparut sur la route. Les trois prisonniers furent regroupés à l'arrière de l'automobile qui se dirigea vers l'est dans la forêt, passant devant les profondes Gorges de Franchard et vers la prison de Fontainebleau...